Les oulémas afghans au XXe siècle : bureaucratisation, contestation et genèse d’un État clérical

Contrairement aux pays de la CEI, l’Afghanistan n’a jamais véritablement fait partie de l’espace communiste, même pendant l’occupation de l’armée soviétique (1979-1989). Pour comprendre le rôle et la place des oulémas en Afghanistan, deux dynamiques contradictoires sont décisives sur le long terme....

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Published in:Archives de sciences sociales des religions
Main Author: Dorronsoro, Gilles (Author)
Format: Electronic Article
Language:French
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Fernleihe:Fernleihe für die Fachinformationsdienste
Published: Ed. de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales 2001
In: Archives de sciences sociales des religions
Year: 2001, Volume: 115, Pages: 63-79
Online Access: Presumably Free Access
Volltext (lizenzpflichtig)
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Description
Summary:Contrairement aux pays de la CEI, l’Afghanistan n’a jamais véritablement fait partie de l’espace communiste, même pendant l’occupation de l’armée soviétique (1979-1989). Pour comprendre le rôle et la place des oulémas en Afghanistan, deux dynamiques contradictoires sont décisives sur le long terme. D’une part, le mouvement de bureaucratisation, lié à la constitution de l’État à partir de la fin du XIXe siècle, s’est poursuivi après l’invasion soviétique sous les gouvernements de Kârmal (1980-1986), puis de Najibullâh (1986-1992), qui tentèrent d’organiser l’islam afghan par des procédures administratives. Par-delà les différences idéologiques, la même logique de concentration du pouvoir et d’instrumentalisation du religieux était à l’œuvre. Mais, contrairement à l’Asie centrale soviétique, la bureaucratisation de la sphère religieuse s’est largement interrompue du fait de la guerre. D’autre part, les oulémas contestaient l’Etat, comme on l’a vu notamment en 1929, lors de la révolte contre les réformes du roi Amânullah. Après le début de la guerre civile en 1978, ils ont occupé une place dominante dans l’espace politique. Mais ce rôle nouveau n’est pas allé sans frictions internes : le charisme routinisé des oulémas issus des grandes familles religieuses a été concurrencé par le poids des oulémas islamistes. Puis, l’arrivée des Tâlebân, issus des madrasa (séminaires) fondamentalistes du Pakistan, a marginalisé ces deux groupes et ouvert une nouvelle phase dans la relation entre les religieux et le pouvoir politique. Contrairement à la plupart des pays musulmans, où la construction de l’Etat a entraîné une progressive fonctionnarisation (même conflictuelle) des oulémas, l’Afghanistan, en raison de la guerre civile, a vu la fin de ce processus d’intégration. Mais, paradoxalement, la prise du pouvoir entraîne une forme d’intégration à l’Etat et l’obligation pratique pour les religieux de s’adapter à la modernisation à laquelle ils se sont opposés pendant un siècle. De ce point de vue, l’évolution du régime vers une forme d’ultra-conservatisme proche du modèle saoudien est envisageable, à la différence que le régime Tâlebân est pour l’instant isolé sur la scène internationale en raison de son soutien aux mouvements fondamentalistes transnationaux.Contrairement aux pays de la CEI, l’Afghanistan n’a jamais véritablement fait partie de l’espace communiste, même pendant l’occupation de l’armée soviétique (1979-1989). Pour comprendre le rôle et la place des oulémas en Afghanistan, deux dynamiques contradictoires sont décisives sur le long terme. D’une part, le mouvement de bureaucratisation, lié à la constitution de l’État à partir de la fin du XIXe siècle, s’est poursuivi après l’invasion soviétique sous les gouvernements de Kârmal (1980-1986), puis de Najibullâh (1986-1992), qui tentèrent d’organiser l’islam afghan par des procédures administratives. Par-delà les différences idéologiques, la même logique de concentration du pouvoir et d’instrumentalisation du religieux était à l’œuvre. Mais, contrairement à l’Asie centrale soviétique, la bureaucratisation de la sphère religieuse s’est largement interrompue du fait de la guerre. D’autre part, les oulémas contestaient l’Etat, comme on l’a vu notamment en 1929, lors de la révolte contre les réformes du roi Amânullah. Après le début de la guerre civile en 1978, ils ont occupé une place dominante dans l’espace politique. Mais ce rôle nouveau n’est pas allé sans frictions internes : le charisme routinisé des oulémas issus des grandes familles religieuses a été concurrencé par le poids des oulémas islamistes. Puis, l’arrivée des Tâlebân, issus des madrasa (séminaires) fondamentalistes du Pakistan, a marginalisé ces deux groupes et ouvert une nouvelle phase dans la relation entre les religieux et le pouvoir politique. Contrairement à la plupart des pays musulmans, où la construction de l’Etat a entraîné une progressive fonctionnarisation (même conflictuelle) des oulémas, l’Afghanistan, en raison de la guerre civile, a vu la fin de ce processus d’intégration. Mais, paradoxalement, la prise du pouvoir entraîne une forme d’intégration à l’Etat et l’obligation pratique pour les religieux de s’adapter à la modernisation à laquelle ils se sont opposés pendant un siècle. De ce point de vue, l’évolution du régime vers une forme d’ultra-conservatisme proche du modèle saoudien est envisageable, à la différence que le régime Tâlebân est pour l’instant isolé sur la scène internationale en raison de son soutien aux mouvements fondamentalistes transnationaux.
Contrary to the countries that are members of the CIS, Afghanistan has never been part of the communist world, even during the occupation of the soviet army (1979-1989). To understand the place and the role of the ulema in Afghanistan, we have to take in account two different dynamics that are decisive in the long term. On one hand, the process of bureaucratisation of the ulema is linked to the constitution of the Afghan State from the end of the XIXth century. This process continued during the soviet occupation during which the government of Najibullah and then Karmal tried to organize the Afghan Islam on the same model than the soviet one. The same rational was at work: to use the legitimacy of Islam to legitimise the government. But contrary to Central Asia, the bureaucratisation of the religious sphere had to stop due to the war. On the other hand, the ulema used to protest against the State, for example during the 1929 revolt against Amanullah. After the beginning of the civil war in 1978, they gained a central place in the political field. But this new role has been a cause of tension in the religious field: the charisma of the families who were traditionally dominant has eroded. The emergence of the Taleban in 1994 has provoked a deep transformation at the same time in the religious sphere and in the relationship between the religious and the political sphere. In an apparent paradox, the take over of the Taleban is at the same time the end of the bureaucratisation by the State as an external force and the completion of the process because the ulema and the mollah (especially in the madrasa) are now part of the State apparatus.
Contrariamente a los países de la CEI, Afganistán nunca formó parte verdaderamente del espacio comunista, ni siquiera durante la ocupación del ejército soviético (1979-1989). Para comprender el rol y el lugar de los ulemas en Afganistán, es necesario ver dos dinámicas contradictorias que son decisivas en el largo plazo. Por un lado, el movimiento de burocratización, ligado a la constitución del Estado a partir de fines del siglo XIX, se continuó luego de la invasión soviética bajo los gobiernos de Kârmal (1980-1986), luego de Najibullâk (1986-1992), que trataron de organizar el Islam afgano a través de procedimientos administrativos. Más allá de las diferencias ideológicas, funcionaba la misma lógica de concentración del poder y de instrumentalización de lo religioso. Pero, contrariamente al Asia central soviética, la burocratización de la esfera religiosa se interrumpió durante el período de la guerra. Por otro lado, los ulemas se oponían al Estado, como se vio especialmente en 1929, en el momento de la revuelta contra las reformas del rey Amânullah. Luego del inicio de la guerra civil en 1978, éstos ocuparon un lugar importante en el espacio político. Pero este nuevo rol no se desarrolló sin fricciones internas : el carisma rutinizado de los ulemas surgidos de las grandes familias religiosas sufrió la competencia del peso de los ulemas islamistas. Luego, la llegada de los Tâlebân, surgidos de los madrasa (seminarios) fundamentalistas de Pakistán, marginalizó estos dos grupos y abrió una nueva fase en la relación entre los religiosos y el poder político. Contrariamente a la mayoría de los países musulmanes, en los cuales la construcción del Estado ha acarreado una progresiva funcionarización (aun conflictiva) de los ulemas, Afganistán, debido a la guerra civil, ha visto el fin de este proceso de integración. Pero, paradójicamente, la toma del poder acarrea una forma de integración al Estado, y la obligación práctica para los religiosos de adaptarse a la modernización a la que se opusieron durante un siglo. Desde este punto de vista, la evolución del régimen hacia una forma de ultra-conservadurismo cercana al modelo Saudita es perceptible, con la diferencia que el régimen Tâlebân está por el momento aislado de la escena internacional a causa de su apoyo a los movimientos fundamentalistas trasnacionales.
ISSN:1777-5825
Contains:Enthalten in: Archives de sciences sociales des religions
Persistent identifiers:DOI: 10.4000/assr.18313